La connaissance, pour ne pas être vaine ou illusoire, doit être investie du souci de vérité : il lui faut être une connaissance véritable, et non une croyance, ou une illusion de connaissance. Or le "moi humain" semble être animé par l'amour-propre, bien plus que par la passion de la vérité. Ne l'est-il pas, alors, au point que se connaître soi-même serait impossible ?
Extrait :
La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi, et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misères. Il veut être grand, et il se voit petit. Il veut être heureux, et il se voit misérable. Il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections. Il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer. Car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir, ni qu’on les voie.
C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts, mais c’est encore un plus grand mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c’est ajouter encore celui d’une illusion volontaire.
Blaise PASCAL, Pensées (Pensée B 100), Fragment "Amour propre", édition électronique, établie par G. Descotes, G. Proust, 2011.
Questions :
Dans ce texte, Pascal procède à une fine analyse de la psychologie humaine, en se montrant un observateur intraitable des conduites des hommes.
1. Quels sont les effets de l'"amour de soi" sur notre positionnement vis-à-vis du regard des autres ? Quelle illustration pourriez-vous en trouver dans l'usage actuel des réseaux sociaux ?
2. La première partie du texte relève plusieurs manifestations de l'opposition radicale entre les aspirations procédant de l'amour de soi et la connaissance que chacun a de lui-même. Choisissez l'une d'entre elles, trouvez et analysez un exemple permettant de l'éclairer.
3. Pascal produit alors un diagnostic : la "haine mortelle" dans laquelle les hommes tiennent la vérité provient de cette opposition entre ce que nous aspirons à être et ce que nous sommes. Pourquoi d'après vous emploie-t-il ces termes de "mortelle" et de "criminelle", puis les verbes "anéantir" et "détruire" ?
4. Afin de se préserver de cette blessure d'orgueil, que faisons-nous alors ? Expliquez : "il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et […] il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir, ni qu’on les voie." En quoi se connaître soi-même serait alors un exercice de dévoilement ?
5. L'extrait qualifie cela d''illusion volontaire", comme s'il s'agissait de se "voiler la face". Qu'est-ce qu'une illusion ? Peut-elle être "volontaire" ? Que peut-on en conclure quant à la définition à donner ici au terme de "volonté" ?
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